La piste algérienne dans l’assassinat des journalistes de RFI
Écrit par Dimitri sur 10/09/2023
Le dossier judiciaire des deux journalistes de RFI assassinés au Mali voici dix ans, Ghislaine Dupont et Claude Verlon, a commencé à livrer quelques pistes troublantes qui mèneraient, pour certaines, vers les services algériens soucieux de contrôler le Nord Mali sans qu’aucun journaliste puisse enquêter sur leurs réseaux et leurs manipulations. By Nicolas Beau.
l y a dix ans que Ghislaine Dupont et Claude Verlon ont été assassinés à Kidal. Le 2 novembre 2013, ils étaient en reportage lorsqu’un commando de quatre personnes les a enlevés puis assassinés à quelques kilomètres de la ville. Un assassinat revendiqué par al-Qaïda au Maghreb islamique. Huit ans plus tard, de nombreuses zones d’ombres subsistent toujours. L’enquête judiciaire se poursuit en France et au Mali. Il ne reste désormais plus qu’un ravisseur encore en vie.
La justice a continué son travail de fourmi et auditionné de nombreuses personnes. Si rien n’a filtré de ces entretiens pour des raisons de secret de l’instruction, ils ont en tout cas ouvert de nouvelles pistes puisqu’ils ont motivé une série de demandes d’acte de la part des parties civiles qui réclament de nouvelles auditions et l’accès à certains documents. Huit ans après les faits, l’enquête judiciaire est donc encore loin d’être terminée.
Selon un document signé des juges en décembre 2017, explique le journaliste français de « l’Express », Laurent Léger, dans une enquête fort instructive, les investigations judiciaires ont permis de cibler six suspects. Qu’il s’agisse des quatre membres du commando ayant enlevé et exécuté les deux Français en reportage à Kidal ou des deux possibles commanditaires.
Le premier commanditaire serait Abdelkrim le Touareg, un émir lié à Al-Qaeda au Maghreb islamique (Aqmi), « neutralisé » depuis par la DGSE, c’est à dire abattu par un commando ou un drone. Le second serait le patron d’Ansar Dine, Iyad ag-Ghali, supérieur d’Abdelkrim le Touareg, dont les initiatives belliqueuses en janvier 2013 depuis Mopti au Nord Mali, furent à l’origine l’intervention militaire française, dite « opération Serval » et don on sait qu’il est protégé depuis toujours par certians clans au sein des services algériens.
Terrains mouvants
Le journal « l’Express » raconte comment un journaliste d’investigation malien qui connaissait bien Ghislaine Dupont, a été entendu le 4 octobre dernier, par un juge français. Une de ses sources, explique-t-il, lui a récemment confié que « quelqu’un dans le commando était en relation avec un officiel malien ». Une piste étayée, dit-il, par un contact ultérieur avec un « ancien officier français ».
Autant de sources sérieuses qui évoquent, une conversation téléphonique entre un membre du commando, Baye ag-Bakabo, et l’ancien ministre de la Défense malien devenu Premier ministre, Soumeylou Boubèye Maïga, décédé depuis et qui aurait été interceptée par les Américains.
Alger tapi dans l’ombre
Fait troublant, le Premier ministre malien, dont l’influence grandit à Bamako, passe pour un proche d’Alger. A peine nommé, il se rendait en Algérie. On le découvrait aussi en déplacement officiel dans le Nord du Mali, et cela sans difficulté majeure, alors que cette partie du territoire est généralement jugée dangereuse par les membres du gouvernement de Bamako qui y risquent un attentat hostile.
Notons aussi que Ag Ghali, mis en cause dans l’assassinat des deux journalistes, a toujours été en contact étroit avec les services algériens. Au point qu’il semble bien, d’après des sources sérieuses, que ce chef terroriste a pu échapper aux forces françaises en 2013 grâce à une intervention d’Alger auprès de Paris, un épisode dont personne ne parle volontiers. Le journaliste Seidik Abba écrivait récemment dans « le Monde Afrique »: « C’est un geste de courtoisie diplomatique et militaire dont on se souviendra longtemps au ministère français de la défense. En 2014, alors qu’elle avait Iyad Ag-Ghali, chef du mouvement djihadiste malien Ansar Eddine à portée de fusil, la France a choisi de prendre l’avis d’Alger avant d’agir, plutôt que de le « neutraliser » ou de le capturer vivant ». Et d’ajouter: « Pas si peu fiers de cette marque de considération, les Algériens envoient à Paris un message aussi clair que l’eau de roche : « Ne vous occupez pas d’Iyad. Nous en faisons notre affaire ».
Autant d’indications qui amènent à s’interroger sur le rôle dans l’assassinat des journalistes de l’ancien DRS (services algériens) qui avait fait longtemps du Mali son pré carré, où il rêgnait en maitre. En 2013, les patrons du DRS ont vu d’un fort mauvais oeil l’intervention française au Mali qui a été rendue possible grâce à la bonne entente qui rêgnait alors entre les présidents Bouteflika et Hollande mais contre laquelle ils étaient vent debout.
De là l’hypothèse, non confirmée à ce jour, que l’assassinat des deux journalistes aurait pu être un message clair des services algériens à Paris sur la présence peu souhaitée des Français au Nord du Mali…